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Tanger : Darna, ou l’émancipation d’une jeunesse désœuvrée

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Le centre de formation et d’animation de Tanger accueille depuis une vingtaine d’années des jeunes égarés.

Sur le vieux port de Tanger, Amin, 13 ans, promène sa beauté rayonnante. Il n’est pas sous l’effet de la colle et semble plus timide que les fois précédentes. Tous les samedis, il descend de sa « montagne » et marche jusqu’aux embarcations, dans l’espoir de monter à bord d’un cargo. Il n’y croit pas beaucoup ; juste pour la forme, il essaie. C’est son rituel d’enfant plein d’esprit mais naïf. Un peu errant. Son père, décédé, l’a laissé seul avec sa mère et son petit frère. Ils vivent dans le quartier de Tanja Balia, à quelques kilomètres de là.

Laisser leur vie

Je le croise régulièrement et nous échangeons en français, nous plaisantons. Je me moque gentiment de lui : « Que vas-tu faire en Espagne, à part rendre amoureuses les Espagnoles ? Tu n’auras ni toit, ni famille, ni travail. Au mieux, tu vivras de la charité, mais est-ce bien glorieux ? » Amin n’est pas perdu, il a simplement besoin d’être bien accompagné. Comme beaucoup de jeunes garçons. Ce sont son éducation et son esprit critique qui le sauveront des mauvaises rencontres.

Perchée sur les hauteurs de la kasbah de Tanger, la Maison Communautaire des Jeunes est facilement reconnaissable à son camaïeu de bleus. On l’appelle Darna (« Notre Maison » en arabe). Ce centre de formation et d’animation accueille depuis une vingtaine d’années les jeunes de la médina et des quartiers populaires alentours, pour les éloigner des tentations de la rue – violence, argent facile et trafics en tous genres. Les occuper, c’est déjà une première victoire, nous indique-t-on.

Ces jeunes, souvent déscolarisés et livrés à eux-mêmes, n’ont qu’une idée en tête : la fuite vers l’Europe. Traverser le détroit pour rejoindre la côte espagnole à une quinzaine de kilomètres, comme un eldorado obligatoire. En Algérie, on appelle ces « brûleurs de frontières » des harragas (« brûleurs » en arabe). Cette illusion, entretenue de manière malhonnête depuis des générations, reste profondément ancrée dans l’esprit collectif : nombreux sont ceux qui, dès le plus jeune âge, tentent clandestinement la traversée. Pour y laisser leur vie.

Envie de révolte

C’est d’ailleurs le premier sujet que les enfants de Darna décident d’évoquer lorsque nous entamons notre projet de film. Ici, c’est avec un certain humour qu’ils en parlent. Et cette dérision est indispensable. Même si la clé de la « Maison » reste la pédagogie. Grâce au précieux travail que mène le personnel imaginatif et endurant de Darna, les jeunes deviennent des hommes, se forment à l’artisanat traditionnel, aux métiers de la menuiserie, de la ferronnerie, de la couture, de la boulangerie…

Ils apprennent à servir le bien commun et en tirent même quelque fierté. L’objectif étant de prévenir efficacement les pièges de l’individualisme, considéré comme le pire du progressisme à l’occidentale, importé par une caste de nouveaux riches méprisant toute réalité sociale. Et lui préférant la surconsommation, la conceptualisation à tout-va et l’inversion des valeurs. Mais l’homme respectable, ici, n’est pas celui qui se soumet aveuglément aux illusions collectives, mais bien celui qui sait se servir de ses mains et ne dépend de personne.

Les jeunes bénéficient ainsi d’une éducation qui n’a pas cours à l’école. L’institution scolaire préférant, pour sa tranquillité, un élève « soumis » à un élève qui pense… Une fois sorti du confort de la soumission – à toutes sortes d’entités décisionnaires, sacrales et arbitraires –, qu’y a-t-il ? L’autonomie. Abordée avec courage par les uns ; avec une légère peur par les autres. Puis l’âge adulte. Et, pourquoi pas, l’envie de révolte, pour les plus consciencieux.

Chaos mondialiste

Car tout l’enjeu de la mission d’éducateur est de parvenir à faire émerger des talents parmi ces jeunes en quête de repères. Et de les encourager à se réaliser. Il suffit parfois de peu, d’un élément déclencheur, d’une idée, d’une rencontre. On se rend rapidement compte qu’au-delà de leur grand besoin de reconnaissance – du fait d’une grande instabilité familiale pour la plupart –, c’est toute une génération qu’on a abandonnée. Et trop rares sont les structures telles que Darna, qui œuvrent pour l’éducation et l’émancipation d’une jeunesse désœuvrée

En pleine crise migratoire mondiale, plutôt que d’arracher l’humain à sa terre – en le victimisant et l’infantilisant -, comme le proposent les responsables internationaux à travers le « Pacte de Marrakech », ne faut-il pas louer et être admiratif de ces Marocain(e)s engagé(e)s, qui tentent de tracer une route sûre pour les jeunes en perdition ? Préférant leur inculquer le goût de l’effort plutôt que la paresse de la fuite au service du chaos mondialiste ?


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